mercredi 14 septembre 2011

Du fétichisme des périodiques : Asile et Freaks


Je l'ai écrit à quelques reprises ici : j'adore les périodiques. C'est pourquoi je sévis souvent dans la section Rézine de Brins d'éternité, qui s'intéresse aux fanzines. J'ai pensé qu'il serait intéressant de reproduire ici quelques-unes de ces critiques, précédemment publiées dans la revue. Il est d'ailleurs toujours possible de commander ces numéros sur les sites respectifs des fanzines ou, mieux, de s'abonner.
Donc, voici :


Asile no 2, Hiver 2010.

Le fanzine Asile est né en 2008 d’une initiative d’étudiants en Arts et Lettres du Collège de Maisonneuve, dans le cadre d’un projet de fin de DEC. L’équipe, à l’époque composée de David B. Lachance, Patricia Isodoro, Anh Thy Nguyen et Nicolas Mercier, avait ainsi publié un premier numéro, un peu amateur, qui comprenait six nouvelles et plusieurs cadavres exquis. L’été dernier, David B. Lachance (qui signe également une nouvelle dans ce numéro) a décidé de poursuivre le fanzine hors du cadre scolaire, en compagnie d’une nouvelle équipe.  Le premier numéro, composé de textes à la fois inventifs et variés, augurait bien pour la suite et avait récolté plusieurs commentaires favorables, entre autres au dernier congrès Boréal. C’est donc avec un intérêt soutenu que j’attendais cette seconde livraison d’Asile, souhaitant que la qualité littéraire soit encore une fois au rendez-vous.

D’emblée, la présentation du fanzine est agréable, nous proposant en couverture une créature insolite, aux contours faméliques, réalisée par Gabrielle Savoie Duchesne. Le montage, simple et aéré, plaide également en faveur de la revue.

Du côté du contenu, Asile s’est surpassé avec ce second numéro, qui regroupe des textes de nouvellistes talentueux, tels Martin Lessard, Michaël Moslonka, Frédéric Raymond et Denis Moreau, les deux premiers étant bien connus des lecteurs de Brins d'éternité. Avec "La danse de l’os", Frédéric Raymond nous offre une histoire fort originale, narrée d’un point de vue étonnant. L’ensemble, macabre à souhait, empreint de motifs typiques du roman noir (notamment, les souterrains), se déroule dans le Paris du XVIIIe et du XIXe siècles. L’atmosphère dépeinte y est des plus évocatrices, portée par une plume solide, parfois traversée de brefs accents lyriques.

L’aspect poétique est encore plus appuyé dans "Sa majesté des Ordures", de Michaël Moslonka, qui installe son récit dans un Cuba futuriste, où les loqueteux envahissent la mégapole. Bien qu’habilement écrite, cette nouvelle souffre de sa densité, ainsi que du foisonnement des points de vue et des personnages. Difficile parfois de se retrouver dans ce texte un peu tortueux, qui semble d’abord emprunter plusieurs directions. Pourtant, l’auteur sait ce qu’il fait, comme en témoigne la finale, même s’il est parfois malaisé de l’accompagner dans les méandres de son récit. Une seconde lecture est donc recommandée.

La nouvelle suivante, "Dans la maison muette", de Denis Moreau, possède, outre son titre superbe, une ambiance tout à fait réussie. Un texte qui m’a fait frissonner d’effroi, narré du point de vue d’une petite fille, pour qui la réalité semble s’être lézardée, à la suite de la mort récente de sa jeune sœur. Voilà une nouvelle fantastique qui fonctionne parfaitement, jouant habilement avec le mystère et l’angoisse.

Le ton est tout autre dans le dernier texte de ce numéro, E=Mc2, de Martin Lessard. La prémisse est originale : dans un univers où le mode de vie dominant et valorisé est celui des artistes, les gens « rangés » sont considérés comme marginaux et peu recommandables. Avec cette nouvelle hilarante, Martin Lessard nous présente des personnages aux noms inspirés d’artistes acclamés, la jeune fille, Constance Simone Hemingway, étant sermonnée par ses parents, respectivement romancier et artiste peintre, parce qu’elle aime l’ordre, se lever tôt, et souhaite faire du commerce. Je n’en divulguerai pas davantage sur ce texte étonnant, afin de ne pas en gâcher le plaisir de lecture. Je vous invite plutôt à le découvrir, à l’instar de la revue Asile, si ce n’est pas déjà fait.

Un article de David Hébert sur le futurisme italien complète ce numéro, très clair et bien documenté, exposé de façon un peu linéaire, compte tenu du choix de présenter le mouvement de manière chronologique. La lecture n’en est cependant aucunement gâchée, puisque Hébert propose comme à son habitude une recherche méticuleuse et bien écrite, à l’instar de son article sur H.G. Wells publié dans le vingt-quatrième numéro de Brins d’éternité. Dommage que cette livraison d’Asile ne comprenne pas de cadavres exquis, mais la qualité de l’ensemble des nouvelles compense amplement, surtout que le fanzine n’en est, après tout, qu’à son second numéro. Je vous convie donc, si intéressés, à aller fureter du côté du blogue de la revue pour obtenir des informations sur les modalités d’abonnement, ou pour en savoir davantage sur les numéros à venir. Il est aussi possible d’écrire au directeur littéraire, David B. Lachance, à cette adresse : l.asile.com@gmail.com.


Freaks no 4, Juillet 2010.

J’ai découvert récemment la revue Freaks, avec son quatrième numéro, consacré à la science-fiction. Cette publication, éditée par l’association Sélénor, à Dijon, est d’un professionnalisme étonnant, surtout si l'on considère que le magazine vient seulement de fêter sa première année d’existence. Freaks se consacre, comme l’indique le sous-titre sur la couverture, à « l’étrange et à l’imaginaire ». La couverture est d’ailleurs superbe, réalisée par Olivier Villoingt. Il en est de même pour les illustrations intérieures, majoritairement en couleurs (sur du papier de qualité, de surcroît), signées Geoffroy Hassoun, Pascal Moguérou, Christophe Sivet, Mandy, Vincent Dutrait, Jimmy Kerast et Yoz. En fait, l’ensemble de la présentation visuelle est si réussi qu’il est difficile de trouver quoi que ce soit à critiquer, si ce n’est (en obligeant la directrice artistique en moi à se montrer sévère) le logo, un peu ordinaire, et la disposition du sommaire. Mais, règle générale, la présentation graphique de Freaks a de quoi faire rougir bien des fanzines.


Du côté du contenu, je n’ai pas été déçue non plus. La revue a la particularité de présenter les fictions, les articles, les critiques et les jeux (vous avez bien lu, des mots cachés et des quiz, notamment) en alternance. Cet agencement me laissait perplexe au départ, mais je dois admettre que j’ai changé d’avis pendant la lecture. En effet, les articles s’insèrent bien entre les fictions, le tout étant ordonné avec soin.


La première nouvelle de ce spécial « science-fiction » est de Hans Delrue, que les lecteurs de Brins d’éternité ont eu l’occasion de (re)découvrir dans notre dernier numéro. Dans « Ne me plaignez pas trop », courte nouvelle à la thématique assez classique, l’auteur raconte le désir d'un Terrien de voyager parmi les étoiles. Mais pour visiter les différents systèmes solaires, le narrateur apprendra qu’il faut être prêt à tout… Avec ce texte, Delrue montre encore une fois son sens du récit, par l’entremise d’une écriture à la fois fluide et évocatrice. En peu de mots, il réussit à dépeindre avec beaucoup d’humanité ses personnages, nous proposant en outre une finale assez étonnante.


Le second texte au sommaire, qui porte le titre de « Metropolis », est signé par Romain Billot. Bien qu'il soit présenté comme un poème, il s’agit en fait plutôt de prose poétique. Avec une écriture soignée, riche en vocabulaire et en émotions, Billot relate la montée d'une suppliciée sur l’échafaud. Mais dans l’assemblée, un être, peut-être plus humain que les autres, ne sera pas insensible à cette mort tragique…


Céline Weber, pour sa part, nous propose avec « Luxuria Patrium » la nouvelle à mon avis la moins aboutie du numéro. Difficile de raconter cette histoire compliquée, qui ne fait qu'enchaîner des idées (originales certes, mais mal intégrées au récit), nous donnant l’impression de lire un synopsis. L’abondance d’informations rend le texte confus, celui-ci ne disposant pas d’assez d’espace pour atteindre son plein potentiel. Et c’est dommage, car Weber écrit bien, et cette nouvelle laisse deviner un imaginaire au potentiel certain. Je serais donc curieuse de lire un texte plus long de cette auteure, dans lequel elle serait certainement plus à l’aise…


Le récit de Charles Bitterson, « L’éléphant », est à mon sens le plus surprenant et original. Avec une écriture que je qualifierai « d’acérée », Bitterson nous introduit à un énigmatique être cosmique, qui s’éveille d’un long sommeil. En parallèle, nous assistons, dans cette nouvelle habilement séparée en deux parties, à son impact sur un jeune garçon, Paul, et sa famille, venus au cirque pour voir les éléphants. En peu de mots, Bitterson livre un texte touchant et atypique, réussissant le pari de rendre tous ses personnages attachants. Un artiste à suivre, également musicien, qui se décrit comme un « dandy bohémien perdu dans l'ère post-moderne ».


La dernière nouvelle, « Incident de parcours », est signée Jean-Pierre Favard, auteur de plusieurs ouvrages, dont le récent roman Sex, drugs et Rock’n’Dole. Dans ce texte, qui reprend un peu le même thème que celui de Delrue, Favard nous présente Charlie, pilote d’un vaisseau qui se dirige vers une lointaine destination. Même si le thème fait un peu « déjà vu » avec son histoire de séduction proscrite, le talent de l’auteur compense largement cette petite facilité. Favard sait maintenir l’intérêt du lecteur, grâce à une grande maîtrise du récit. Dommage qu’il ne soit pas possible de connaître la suite de ce texte, qui aurait pu se poursuivre longtemps encore…


Quelques mots aussi sur les articles, qui valent le détour. Ce numéro comprend d’abord une très intéressante chronique sur le « space rock », particulièrement instructive, qui présente des groupes comme Hawkwind, Les Pink Fairies, Gong, les Pretty Things… Un portrait de l’illustrateur Vincent Dutrait, accompagné de plusieurs de ses œuvres, est aussi au sommaire, permettant de découvrir le travail de cet artiste de talent. Finalement, un dossier spécial sur les ovnis (à noter qu’il faut maintenant dire PAN, pour « Phénomènes Aérospatiaux Non Identifiés ») propose un survol historique bien documenté des différentes apparitions de ces objets volants.


Mon seul regret, en terminant la lecture de Freaks, est sa brièveté, la revue ne comprenant que 54 pages, dont plusieurs sont illustrées. Idem pour la longueur des textes, souvent trop brefs à mon goût (la longueur maximale des nouvelles acceptées par la revue est de 1500 mots). On en redemande ! Raison de plus pour surveiller la sortie des prochains numéros, le cinquième consacré au freak show, le sixième à l’épouvante et le septième à la fantasy. Un superbe programme en perspective, donc, et une revue à suivre ! Pour les curieux, le blogue de Freaks est disponible à cette adresse : http://freakscorp.blogspot.com/


Asile no 4, hiver 2011

Consacré aux littératures de l’imaginaire et à l’avant-garde, le fanzine Asile vient de faire paraître son quatrième numéro. Sous une couverture un tantinet terne de l'illustrateur LWO, nous retrouvons comme d’habitude plusieurs fictions et un article. Le cadavre exquis produit par les participants est, quant à lui, disponible sur le blogue d’Asile réservé à cet effet.


Du côté des fictions, nous retrouvons quatre nouvelles, signées par Florent Chamard,  Denis Moreau, Laurent Crevon et Alexandre Albert.


Le texte de l’auteur français Florent Chamard, « Soif de liberté », commence agréablement la section des fictions, même s’il est plus ou moins original. L’ensemble est en effet inspiré de Lovecraft, d’ailleurs cité en exergue. Dans ce récit, nous faisons la connaissance d’un homme qui rêve de quitter sa famille pour recommencer sa vie ailleurs. Il se dirigera ensuite vers la mer, en direction de son destin… La nouvelle, bien écrite, souffre toutefois d’un excès de ponctuation (trois points, tirets) et d’italiques qui en complexifie la lecture.


Denis Moreau, qui a déjà publié un texte dans le second numéro d’Asile, récidive avec « Nouveau paradis ». Comme dans sa nouvelle précédente, l’écriture est atmosphérique et poétique, les phrases courtes créant un effet saisissant. Nous faisons dans cette histoire connaissance avec le narrateur, inconsolable de la mort de Délia. Jour après jour, il la cherche inlassablement dans la maison, refusant d’admettre sa disparition. Tout le jeu avec le réel et l’imaginaire est fascinant dans ce texte à l’ambiance inquiétante et malsaine. Mon coup de cœur du numéro.


« Schnortz », de Laurent Crevon, appartient au genre de la science-fiction. Dans cette longue nouvelle, l’auteur français narre l’histoire de John, un écrivain de science-fiction incapable de composer la moindre ligne depuis dix ans. En effet, à la suite de l’arrivée des Gliesiens sur la Terre (des extra-terrestres en provenance de Gliese 581e), il éprouve un blocage, surtout depuis que les étrangers se sont intégrés à la société. Mais la rencontre avec Schnortz viendra ébranler ses certitudes… Avec « Schnortz », Crevon signe une première nouvelle très prometteuse, à la fois amusante et drôle. Un auteur à suivre, donc.


Le volet fiction se termine avec « La rage et l’oubli », d’Alexandre Albert, qui est sans contredit le texte le plus expérimental du numéro. Sous ce pseudonyme, le jeune auteur québécois signe l’un de ses premiers textes, à l’écriture très personnelle. Nous y découvrons un homme dans un train, qui ignore où il va. Autour de lui, l’orage gronde tandis que les souvenirs l’assaillent par bribes. L’histoire, scindée en très courtes sections, est singulière, plus poétique que narrative. L’ensemble m’a néanmoins bien plu.


Un article de David Hébert, un habitué des pages d’Asile, complète le numéro. Avec son aisance habituelle, Hébert nous présente Tristan Tzara, l’un des représentants du dadaïsme, en s’intéressant plus spécifiquement à « l’expérience du vide ».


En somme, cette livraison d’Asile ne m’a pas déçue, avec ses quatre fictions de qualité et son article solide.

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