samedi 19 décembre 2015

Le Voyage insolite (émission du 14 décembre)


Crimes à la bibliothèque (collectif), sous la direction de Richard Migneault, Druide, 2015, 377 p.


Un peu plus d’un an après Crimes à la librairie (qui a connu, justement, un beau succès en librairies) vient de paraître Crimes à la bibliothèque. Comme son prédécesseur, le collectif est toujours sous la direction de Richard Migneault, grand lecteur, blogueur, mais surtout passionné de polars québécois. Avec ce deuxième ouvrage, qui regroupe 17 nouvelles, le directeur de publication propose un survol des plus intéressants des auteurs de littérature policière québécoise (surtout si nous ajoutons aux 17 écrivains de Crimes à la bibliothèque les 16 qui figurent au sommaire de Crimes à la librairie). Il faut saluer l’audace des éditions Druide de publier un collectif à une époque où les recueils de nouvelles connaissent souvent un succès commercial incertain. Mais les deux Crimes... viennent démentir cette affirmation, entre autres pour la simple et bonne raison que les deux livres (très beaux, d’ailleurs, la présentation visuelle du second étant à mon avis la plus attrayante) sont d’une qualité indiscutable. Au programme, 17 nouvelles des auteurs suivants : François Barcelo, David Bélanger, Roxanne Bouchard, Laurent Chabin, Sylvie-Catherine de Vailly, Hervé Gagnon, Anna Raymonde Gazaille, Maxime Houde, Michel Jobin, Jacqueline Landry, Jean Lemieux, François Lévesque, André Marois, Maureen Martineau, Maryse Rouy, Francine Ruel et Martin Winckler.

Comme d’habitude, voici quelques coups de cœur, dans l’ordre d’apparition du recueil. François Lévesque ouvre de manière très forte Crimes à la bibliothèque avec « Combustion lente », une histoire d’intimidation dans laquelle les adolescents sont plus grands que nature. Un texte saisissant et touchant, qui commence fort bien le collectif et qui montre le talent de l’auteur à dépeindre la psychologie de ses jeunes protagonistes.

Dans « Page soixante-deux », Maureen Martineau nous offre le récit de vengeance familiale tout en nuances. Il prend pour cadre le lancement de la biographie d’une vieille dame plus ou moins recommandable. Un récit qu’on lit en retenant son souffle !

« Fin de partie », de Jean Lemieux nous propose une autre enquête de Surprenant, l’inspecteur fétiche de l’écrivain, que ses fidèles lecteurs, comme moi, prendront plaisir à retrouver à la Grande bibliothèque de Montréal. Coup de cœur aussi pour « La littérature est un plat qui se mange froid » de Laurent Chabin, qui, avec un humour acide, nous présente la vengeance savamment murie d’une femme meurtrie par le passé... et qui profite d’un lancement à la bibliothèque de Stanstead pour régler ses comptes.

Roxanne Bouchard, dans « Rififi à la bibli », propose certainement le texte le plus ludique du collectif. Comme d’habitude sous la plume de l’auteure, l’humour sonne juste, et l’ensemble de la nouvelle est vivant et fluide.

Finalement, André Marois, auteur talentueux de nombreux romans noirs, signe « Le truc avec les Turcs », une fiction de tueurs à gages à la fois cynique et cruelle. Le tout, comme toujours chez l’écrivain, avec une ambiance bien rendue.

Vous aurez compris que Crimes à la bibliothèque, en plus de vous donner des suggestions de méfaits à commettre entre les rayonnages de votre bibliothèque favorite, est un recueil indispensable pour les fervents de polars. Un ouvrage qui vous amènera certainement à faire de belles découvertes ! À quand Crimes au Salon du livre


Benoît Bouthillette, L’heure sans ombre, Druide, 2015, 542 p.


Dix ans après La trace de l’escargot, l’inspecteur Benjamin Sioui revient dans une nouvelle enquête qui prend pour cadre Cuba, plus précisément La Havane. Amérindien d’origine, Benjamin Sioui est un policier atypique, à la fois chamane, cocaïnomane et profondément romantique. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur l’une des « transes » de l’inspecteur, au cours de laquelle il comprend qu’il doit élucider une enquête sur des disparitions d’enfants. En effet, les enfants de La Havane ne sont plus en sécurité : un meurtrier pour le moins sadique sévit sur l’île. Épaulé par la sergente Maeva Corrales, dont il tombera rapidement – et éperdument – amoureux, Benjamin tentera de remonter la piste du tueur. Mais le policier investigue à sa manière, avec des méthodes atypiques à l’image de sa personnalité paradoxale.

Atypique, L’heure sans ombre l’est assurément. J’ai été fascinée par l’existence même de cet étrange roman, qui amalgame différents genres, en plus, bien sûr, du polar. Car ce livre ne s’embarrasse pas d’étiquettes : il est généreusement ce qu’il est, son format – presque 550 pages – témoignant de l’ambition de Benoît Bouthillette (d’ailleurs, ce n’est que la première partie d’un diptyque intitulé La somme du cheval, le deuxième tome étant attendu en 2017). De surcroît, l’écriture de L’heure sans ombre est fort personnelle : traversée de passages en espagnol ainsi que de références culturelles hétéroclites. Un peu plus (je dis bien un peu plus, étant donné que je suis davantage une fille du nord, qui a après tout choisi Fermont comme destination lors de ses dernières vacances estivales) et j’aurais eu envie d’aller visiter le Cuba dépeint par Bouthillette, à des lieues des clichés touristiques connus.

L’intrigue, que je qualifierais de « morcelée », contribue aussi à l’originalité de ce roman, qui séduira les amateurs de narrations imprévisibles. Si vous aimez les enquêtes présentées de manière plus « chronologique », L’heure sans ombre risque de vous déplaire. Car ce pavé de Bouthillette étonne, avec ses images parfois exacerbées (le meurtre du petit frère), parfois effrayantes (les mille-pattes), parfois à la mode (bars et boîtes de nuit), parfois amoureuses (entre autres la conclusion, qui m’a fait me demander si elle avait été improvisée par l’enchaînement des chapitres ou déterminée ainsi dès le départ).

Un roman audacieux que L’heure sans ombre (je salue une nouvelle fois le cran de Druide, qui a manifestement choisi de publier des livres originaux) pour lecteurs intrépides et atypiques... à l’instar de Benjamin Sioui, finalement.


*Le Voyage insolite fera relâche jusqu'au 25 janvier. D'ici là, de belles vacances à vous tous et bonne année 2016 !
 

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